’abbé Etienne, un des derniers proches témoins, retrace le contexte qui aboutit à la lecture de la lettre de Mgr Théas dans les paroisses et l’engagement de celui-ci.

Lettre de maturation

Après son ordination épiscopale à Bayonne, en zone occupée, Mgr Théas franchit la ligne de démarcation à Orthez pour aboutir à Montauban…au Petit séminaire du Sacré – Coeur, l’évêché de Montauriol étant resté dans un piteux état au départ du GQG de l’armée française, qui y avait résidé deux mois.
Accueil chaleureux du Supérieur, le chanoine Chambert et des professeurs. Durant les cinq semaines qu’il vécut avec nous, les relations furent très cordiales, libérées de tout protocole.

Nous admirions sa santé physique et morale, son sens de l’Eglise, le souci de sa charge. Tout venait dans les conversations. Je me souviens qu’il donnait beaucoup de valeur à la Croisade Eucharistique, -ce qui était sans doute très important-, mais il butait sur les évènements: « Vous écoutez la radio anglaise mais c’est défendu ! »

II entra dans le réel à sa manière directe, droite, rapide, appelé à l’Hôtel du Midi par sœur lgnace, une Basquaise, sœur de la charité de Nevers (la congrégation de sainte Bernadette) qui vivait avec efficacité sa vocation d’assistant aux malades, auprès du président espagnol Azaña en exil. L’on connaît les rencontres, les dialogues, les derniers sacrements, la volonté d’obsèques religieuses, en accord avec madame Azaña, cathoIique fervente, la mort (3 novembre 1940).

Mais par l’intervention d’un quarteron d’irréductibles, le cercueil se dirigea directement vers le cimetière, évitant la cathédrale, emplie d’une foule immense. Les lettres de protestation furent les premiers actes de résistance du jeune évêque. Plus tard, la paix retrouvée: «l’enterrement fut civil, mais la mort avait été chrétienne. N’est-ce pas l’essentiel?»

Installé à Montauriol, Mgr Théas trouvait régulièrement dans son courrier les numéros clandestins de Témoignage Chrétien astucieusement déposés par Marie-Rose Gineste. Lente imprégnation par la lecture: « France, prends garde de perdre ton âme », « Les racistes peints par eux-mêmes », etc. Parallèlement, à Toulouse, il rencontrait Mgr Saliège l’archevêque, Mgr de Solages le recteur de l’Institut Catholique, tandis qu’à Montauban il aimait bavarder toujours de façon directe avec des prêtres qui avaient été imprégnés, plus que d’autres peut-être, par les encycliques de Pie XI: Non abbiamo bisogno(fascisme), Divini Redemptoris (communisme), Mit Brennender Sorge(nazisme), sans oublier ses visites fréquentes au 64, faubourg du Moustier, au Secrétariat social, où il voyait l’abbé Rapau, mademoiselle Delmas, mademoiselle Gineste.

Soudaine réaction

Mais si Montauban était toujours en zone libre, la situation se durcissait rapidement. Durant l’été 1942, les lois antisémites de 1940 concernant les biens des Juifs et leur exclusion des activités officielles prenaient une forme plus rigide encore.

Les prises de position se compliquaient avec la présence au gouvernement d’un Montalbanais, René Bousquet, secrétaire général à la Police de Vichy, qui avait signé avec Karl 0berg (chef de la Gestapo en France) les accords autorisant la livraison par la police française des Juifs étrangers.

Et Mgr Théas? Par ses contacts toulousains il apprend les départs de Juifs aux camps de Noé et Recébédou (Haute-Garonne). Il en sera de même à Septfonds, au camp de Jude (85 en un premier convoi, 211 au second, expédiés à Drancy, puis à Auschwitz) toujours avec l’intervention de la police française.

La lecture du dernier numéro de Témoignage Chrétien: « Antisémites » (mai 1942) lui fait prendre conscience « de la conscience désorientée du peuple français ». Les évêques de la zone libre eurent alors le choix entre un silence prudent pour sauver l’essentiel ou la réaction brutale pour dévoiler l’ignominie.
Tard, au soir du mercredi 25 août, l’abbé Labordère, professeur au Petit séminaire, engagé dans la parole et l’action me réveilla : ” Je viens de voir l’évêque ! Il m’a dit que cette fois, il allait foncer! “

Parfaite médiatisation

Au matin du jeudi 26 août, Mgr Théas à la retraite des prêtres au Grand séminaire, convoque mademoiselle Gineste:« Lettre à ronéotyper d’urgence et a expédier à tous les curés ». « Vous n’y pensez pas et la censure postale! .Certains purent lire le texte, le soir même. Elle fut transmise à tous les curés, à bicyclette, à travers tout le département, par Marie-Rose Gineste, aidée par le capitaine Bossu et Angèle Puig et, le dimanche 30 août, elle éclata dans toutes les chaires (ou presque) du diocèse. A la cathédrale, le chanoine Bertrand, l’archiprêtre, demanda à son jeune vicaire, l’abbé Aiguilhanes, de lire la lettre de sa voix claire et bien timbrée. Elle ne fut pas lue devant l’évêque qui, ce jour-là, célébrait la messe à la Fête de la Légion au Cours Foucault.

Entente à demi-mot avec le préfet de Vichy, François Martin, député de Millau. Avant la cérémonie, l’évêque: « La lettre a été lue dans toutes les églises du diocèse ce matin, mais, comme je vous l’ai dit, elle ne sera pas lue tout à l’heure devant vous ». Le préfet : « Monseigneur, dans mon cabinet, je vous ai parlé en préfet, aujourd’hui, dans votre église, je vous parle en chrétien, je vous approuve et vous félicite ».

Evangélique référence

La lettre parallèle de Mgr Saliège d’abord et celle de Mgr Théas ensuite, furent vite mondialisées par « Ici Londres » avec la voix de Maurice Schumann d’abord (31 août), et de Jean Marin (9 Septembre), à la radio anglaise brouillée, mais audible.

Textes de référence majeure pour les chrétiens engagés, l’aide aux Juifs s’amplifia: cartes d’identité, cartes de textile, faux certificats de baptême, filières d’évasion, passages en Espagne par des circuits pyrénéens, camouflage des jeunes dans les écoles catholiques et les couvents: les Bénédictines de Mas-Grenier, les soeurs d’Auvillar, Jeanne d’Arc, l’Institut Familial, le Petit séminaire, le Refuge surtout. Mgr Théas et mademoiselle Gineste étaient souvent les intermédiaires efficaces.

Quand les Allemands arrivèrent à Montauban (11 novembre 1942), tout était en place pour vivre une riche expérience évangélique au service de l’autre, sous l’occupation nazie.
Que reste-t-il de tout cela? A Jérusalem, Yad Vashem perpétue le souvenir des « Justes ». L’on vous dira, à l’entrée, à l’accueil, les numéros des oliviers Tarn-et-Garonnais bien ancrés dans la terre d’Israël.

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